La zone de connu

Beaucoup de gens l’appellent la « zone de confort. » Il serait tellement plus facile de s’asseoir, ne pas chercher de nouvelles idées, ne pas étudier de nouvelles approches pédagogiques. Un enseignant qui a le désir de rester à l’écoute de ses élèves, de leurs besoins, de leurs habitudes, doit créer un déséquilibre vers l’avant pour continuer d’évoluer dans son enseignement. Nous nous rappelons tous un enseignant qui est resté « collé » dans ses vieux manuels, ses vieilles habitudes, bonnes ou pas. Nous avons peut-être même reçu les enseignements d’une personne bornée, fermée d’esprit, qui encense sans arrêt une époque révolue. Loin de moi l’idée de dénigrer ou d’abaisser l’enseignement traditionnel marginal. Je suis moi-même un enseignant qui n’est pas porté à chercher de nouvelles façons d’enseigner. Mais je garde ma curiosité et mon questionnement à l’avant plan. Qu’est-ce qui se fait ailleurs? Dans tel ou tel programme de musique qui a du succès? Comment mon programme peut-il s’améliorer? Ces questions sont omniprésentes chez moi. Lorsqu’un cours a mal été, je me pose la question à savoir si j’aurais pu faire telle ou telle chose différemment. Lorsque j’entends parler d’un collègue qui utilise la technologie, je suis curieux d’aller voir ce qu’il fait.

 

Étrangement, j’ai enseigné en sortant de ma zone de connu depuis le début de ma carrière, sans qu’un pédagogue ne me le conseille. J’ai organisé des petites activités, des camps musicaux, des concerts de fin d’année avec cette petite peur d’être jugé, peur de l’échec, peur de je ne sais trop quoi. Je suis un grand paresseux. J’ai lutté toute ma vie contre la paresse. Je procrastine souvent. Je le reconnais. En sachant cela, ça me permet d’identifier les moments où je pourrais avancer tel ou tel dossier. Ça me permet de garder l’esprit ouvert à mes défauts. Reconnaître ses faiblesses est une excellente qualité pour un enseignant. Garder l’esprit ouvert aussi. Ça lui permet d’évoluer, d’éviter de stagner dans une façon d’enseigner qui fonctionnait à une certaine époque mais qui ne fonctionne peut-être plus. Les élèves changent. La société change. Tout change. Il faut suivre la parade. Il faut être curieux. Il faut oser. Essuyer un échec est une opportunité pour grandir.

 

J’ai encore de l’ambition professionnelle. Lorsque je lis des livres sur le leadership ou sur l’éducation musicale, quelque chose vibre en moi. Quelque chose résonne et me sourit. Comme une force invisible, omniprésente et gigantesque. Un philosophe a dit il y a quelques milliers d’années que « lorsqu’on fait quelque chose que l’on aime, lorsqu’on s’occupe d’un projet qui nous fait vibrer, l’univers aligne des forces inexploitées, et on découvre qu’on est encore plus génial qu’on ne pouvait l’imaginer ». Kalil Gibran. Sortons de notre zone de connu pour mettre sur pied des projets musicaux dans nos écoles et dans notre communauté.

 

 

L’amour

« L’amour est le canal le plus large par lequel passent les connaissances entre un maître et son apprenti. » C’est la phrase qui a changé ma carrière d’enseignant. Il y a un « avant » et un « après » cette importante prémisse. En effet, je suis convaincu que l’amour est à la base de l’enseignement. L’amour se sent, l’amour se sait entre les êtres humains. La spiritualité n’est pas bien loin. L’amour a beaucoup de significations, ou une seule? L’amour est partout? Ce sont de très bonnes questions, auxquelles chacun peut répondre sa propre réponse. Dans mon cas, lorsque cette phrase m’a été transmise, je me suis senti comme si on me mettait des lunettes pour la première fois. J’ai compris quelques trucs importants.

 

J’ai compris que lorsque je n’aime pas un groupe d’élèves, ils le sentent et ne m’aiment pas non plus. L’inverse n’est pas nécessairement vrai: si j’aime un groupe d’élève, ça ne veut pas dire que ces élèves m’aiment. Enseigner « pour me faire aimer » est aussi une question fondamentale pour moi. J’ai longtemps enseigné pour me faire aimer. En fait, j’ai toujours une envie de me faire aimer par mes élèves. Mais c’est un piège. À leur âge, ils ont encore besoin de se faire guider, de se faire montrer la rigueur et le travail, sans nécessairement se faire donner des cadeaux ou se faire bombarder de compliments. Oui, une petite récompense de temps en temps ne fait pas de tort. Par exemple, finir la répétition 10 minutes plus tôt ou leur acheter des petites gâteries sucrées à l’Halloween, voilà des récompenses que j’offre à mes élèves.

 

Mes règles de répétition sont claires, précises et rigoureuses. Je ne m’attends pas à ce que mes élèves m’aiment. Je les traite avec un infini respect et ils le savent. Humilier un élève est une des pires choses à faire devant un groupe. Tous les élèves vont être empathiques pour leur camarade de classe. Il y a une grande différence entre « se faire aimer » et « gagner leur respect et leur estime. » L’amour qui est manifesté par l’enseignant vers l’élève est inconditionnel, il est fusionné avec la passion de l’enseignement, la grande cause. Il est très gratifiant. Sans dire aux élèves « je vous aime », nous n’avons qu’à leur montrer que nous avons leur succès à cœur, que nous savons comment les guider au travers des petites et grosses tempêtes émotionnelles qu’ils traversent.

 

Les émotions seront presque toujours à l’avant plan pour nos élèves du secondaire. Encore une fois, nous n’avons pas à montrer nos émotions pour passer notre enseignement. En fait, je dirais qu’il est préférable de ne pas les montrer. Ça n’est pas nécessaire. Le calme et l’objectivité sont les meilleurs amis de l’enseignant. Un enseignant qui se dit déçu par ses élèves est une arme redoutable et triste. À l’inverse, lorsqu’un enseignant choisit judicieusement ses mots pour communiquer sa déception, sans jamais utiliser de mot négatif, le message peut aussi bien passer clairement et personne ne sera attristé.

 

Lorsqu’un enseignant a du plaisir à faire ce qu’il fait, lorsqu’il aime ce qu’il fait et qu’il aime ses élèves, il vibre. Les étincelles dans ses yeux sont visibles par tous. Ça peut sembler banal et évident, mais lorsqu’un groupe nous donne du fil à retordre, lorsqu’on traverse une mauvaise journée, lorsque tout va de travers, c’est dans ces moments qu’il faut se rappeler ce principe de base de l’enseignement. Se fâcher offre des munitions aux élèves. Ça les amuse. Et ça draine beaucoup d’énergie à l’enseignant. Je parlerai plus tard de mes trucs de gestion de classe. Pour l’instant, revenons à l’ingrédient numéro un en enseignement. Je préfère le terme « amour » plutôt que « passion » parce que la passion pour moi n’est pas teintée de calme. Le calme est l’état que j’ai choisi d’incarner 95% du temps lorsque j’enseigne. On m’a déjà dit que je suis passionné, et j’en suis humblement touché. Mais de me faire dire que je suis calme m’a fait beaucoup plus plaisir. Un des mentors que j’admire le plus a une personnalité très calme. Il génère le calme. Je pense que ma passion se voit à travers mon calme. À l’inverse, il est facile d’être excité et énergique lorsqu’on enseigne. L’amour peut bien sûr se manifester dans de tels états d’esprit. Je n’ai rien contre ça. Mais ça n’est pas mon style.

 

Comment montre-t-on à nos élèves qu’on les aime? En leur souriant, en leur demandant comment ils vont, en leur demandant des nouvelles de leur voyage de ski, en leur demandant ce qu’ils ont fait cette fin de semaine, en leur répétant que notre bureau est toujours ouvert et qu’ils peuvent toujours venir demander conseil, en leur disant un beau « Bonjour! Vous allez bien? » à chaque matin, au début de chaque cours.